Conférence de synthèse du colloque d’Athènes (Pr. Messarra)
Conférence de synthèse du colloque d’Athènes (Pr. Messarra)
Colloque international du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public – LM-DP
Nouveaux défis du service public aujourd’hui
Bien commun, interdépendance sociale
& légitimation citoyenne de l’Etat
Par Antoine Messarra*
Quels services publics aujourd’hui dans l’espace méditerranéen face à de nouvelles mutations ? Que faire en vue de revigorer, dynamiser et rendre plus opérationnelles des institutions gestionnaires et dispensatrices de services publics, et aussi des médiations et des organes judiciaires et constitutionnels garants des droits des usagers ?
La problématique est au cœur du 2e Colloque international du Laboratoire méditerranéen de droit public (LM-DP), dirigé par le Pr. Mathieu Touzeil-Divina, de l’Université Toulouse 1 Capitole, colloque organisé à Athènes au Centre national d’administration publique et territoriale (EKDDA) et au Conseil d’Etat hellénique, sous le patronage du Président de la République hellénique, M. Prokopios Pavlopoulos, les 19-20 octobre 2017.
Plus de quarante interventions (et une cinquantaine de contributeurs), fruit de travaux des équipes du Laboratoire et la participation de spécialistes de douze pays méditerranéens (Algérie, Chypre, Egypte, Espagne, France, Grèce, Italie, Liban, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie) permettent de dresser un panorama de la situation, des obstacles, des pratiques, des mutations et des perspectives d’avenir en ce qui concerne l’avenir doctrinal, gestionnaire et jurisprudentiel du service public et aussi les projets futurs du LM-DP.
Il ressort des contributions inaugurales, ateliers, tables rondes et débats quatre perspectives doctrinales, jurisprudentielles et opérationnelles :
1. Pourquoi ce colloque ?
2. Quelle définition du service public ?
3. Quelles sont les réalités méditerranéennes du service public ?
4. Que faire ?
1. Pourquoi le thème
du service public aujourd’hui ?
L’actualité et la pertinence du thème se confirment avec la présence du Président de la République hellénique, M. Prokopios Pavlopoulos, qui intervient à la clôture du colloque pour transmettre une vision bien plus large que celle de l’ « intérêt général », celle du « bien commun », c’est-à-dire « l’intérêt de tous ». « Nous vivons, dit-il, une crise profonde du service public et de la notion même de service vraiment public, crise dont l’origine est la crise du droit public lui-même, crise où le pouvoir régulateur de la loi est dépassé et sapé, en opposition avec la res publica (chose publique) d’autrefois. C’est pour cela que l’Union européenne a été créée. Le Colloque lance un SOS pour le service public au-delà de considérations légalistes. C’est le public qui donne à l’Etat toute sa consistance ».
On souligne donc, quant au thème, « qu’il n’y a pas de meilleur choix en vue d’un colloque pour les citoyens et pour l’adaptation à de nouvelles exigences » (Christophe Chantepy, ambassadeur de France en Grèce). Il s’agit aussi de « découvrir les points communs qui nous unissent et d’entrevoir de nouveaux progrès vers les objectifs du LM-DP » (Nicolaos Sakellariou, président du Conseil d’Etat hellénique), « d’appréhender et penser les réalités socio-politiques du service public et la fonction médiatrice du droit » (Ifigenia Kamtsidou, présidente de l’EKDDA), « d’entrevoir une méthodologie et de travailler l’identité méditerranéenne dans la lignée de Fernand Braudel » (Mathieu Touzeil-Divina, président du LM-DP), « de dégager des influences et confluences » (Spyridon Flogaitis, Grèce), « d’engager un itinéraire » (Christos Kaloudas, France). Il s’agit donc d’une entreprise nécessaire de « ressourcement » (Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme et président de la Fondation René Cassin, France).
2. Définir le service public :
Dilemme de l’esprit public
Une profonde réflexion s’engage autour de la définition du service public et de l’actualisation de la définition, car « la notion est aujourd’hui bousculée » (Bernard Stirn, Conseil d’Etat français). La genèse juridique du service public remonte en France à l’arrêt Blanco (T.C. 8/2/1873) où l’Etat est déclaré civilement responsable, par application des art. 1382, 1383 et 1384 du Code civil, du fait qu’une enfant a été renversée et blessée par un wagonnet de la manufacture des tabacs. Nombre de pères fondateurs sont cités, dont Léon Duguit, Maurice Hauriou, Gaston Jèze, René Chapus…, mais sans rappeler littéralement la définition de Léon Duguit qu’il a fallu relire au cours du colloque, en soulignant les termes les plus pertinents :
(Le service public) est « toute activité dont l’accomplissement doit être assuré, réglé, contrôlé par les gouvernants, parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée complètement que par l’intervention de la force gouvernante » (Traité de droit constitutionnel, vol. II, Sirey, 1923, p. 55).
«Interdépendance sociale», voilà bien, en ce début du XXIe siècle, le cœur du problème. « Nous sommes juristes, nous devons définir », relève un participant, mais n’y a-t-il pas un risque dans l’obsession de dé-finir (de-finis, marquer des frontières) à propos du droit dont on dit aujourd’hui qu’il est devenu sans frontières et à propos de la notion même de public qui implique tout le vivre ensemble, ce qui fait société ?
De fait, avec la jurisprudence la plus explicite et la mieux élaborée, « l’intérêt général est impossible à définir, d’une part parce qu’il n’est pas la somme des intérêts particuliers et, aussi, parce qu’il transcende ces intérêts et se détermine par son but » (Lara Karam Boustany, Liban). C’est méconnaître le sens profond de l’intérêt général que de le réduire à une dimension légaliste, car la notion est sociologue, politique et philosophique. Service ? intérêt… ? Bien sûr, mais c’est le public, le sens du public, l’esprit public qui pose problème aujourd’hui.
Dans la perspective de l’Etat moderne, le dilemme est dans le public, car « le public est au cœur du droit et de la civilisation » (Spyridon Flogaitis, Grèce). Ne sommes-nous pas à Athènes ? Il faudra rappeler que tous les participants sont à proximité de l’agora athénienne, en confrontation avec la polis, la cité d’Aristote, avec Sophocle et sa problématique d’Antigone à propos de la loi, du droit et de la justice.
Combien il est dangereux d’assimiler public à officiel dans la mondialisation qui entraîne l’extension presque illimité du public, en concomitance avec le développement des identités individuelles et collectives. Les causes de l’extension du public, causes qui se répercutent en droit sur l’élargissement des services publics, sont notamment l’explosion démographique, l’interdépendance économique, l’inflation des réseaux sociaux, l’urbanisation galopante et sauvage, la pauvreté et les disparités socio-économiques. En parallèle, nous vivons l’affaiblissement des Etats en faveur d’organisations économiques transnationales, ainsi que le développement de l’individualisme aux dépens du lien social.
Autrefois, nous conjuguions à l’école : J’aime, tu aimes… Aujourd’hui nos enfants et petits-enfants conjuguent, face à des parents déboussolés : J’ai le droit, tu as le droit… Certes l’enfant a des droits, mais le droit, par essence, organise une relation. Des démocraties, pourtant dites consolidées, deviennent aujourd’hui ingouvernables avec le développement d’une mentalité de rouspéteurs et contestataires.
Vivons-nous la fin du politique, au sens de la polis d’Aristote, avec un populisme à fleur de peau, la politique réduite à la polémique, la politique spectacle ? Dans le célèbre triptyque : liberté, égalité, fraternité, c’est l’expérience historique, avec le capitalisme sauvage, le socialisme d’Etat, le communisme soviétique…, qui montre que liberté et égalité, même dans les meilleures conditions, sont antinomiques. La liberté fait que des gens sont mieux nantis par leur naissance, le milieu familial, la localisation géographique…, sont travailleurs, ambitieux, entreprenants…, alors que d’autres le sont moins et peut-être ne veulent pas trop prendre des initiatives, s’appliquer et entreprendre. Des inégalités en découlent, même dans les meilleures conditions démocratiques.
C’est le troisième élément du triptyque, la fraternité, qui va corriger les effets antinomiques de la liberté et de l’égalité. La notion de « bien commun », chère à Thomas d’Aquin, est bien plus riche, explicite et répond aux exigences du monde d’aujourd’hui. Les Romains, avec la res publica (chose publique), étaient bien plus explicites que des académiques et intellectuels d’aujourd’hui. La chose publique, en tant que chose, est à vivre au quotidien, en famille, à l’école, dans le quartier, la rue, le plus proche voisinage d’habitation, dans l’exercice de toute fonction. Elle doit être intégrée, appropriée, devenir une partie intégrale de soi. L’autre n’est pas autre, mais prochain, un autre moi-même. Aristote en qualifiant l’homme d’animal social pensait dans cet esprit public.
Sommes-nous vraiment société ? On dénonce aujourd’hui la « société liquide », « modernité liquide », « amour liquide »… sans consistance (Zygmunt Bauman, La Vie liquide, Paris, Le Rouergue / Chambon, 2006). Comment faire société (socius, compagnon) ? C’est là le dilemme du public, aujourd’hui menacé par quatre phénomènes généralement cumulatifs : 1) l’exploitation par des élites au pouvoir de politiques publiques en faveur de clients et dans un but électoraliste, 2) l’extension d’une culture individualiste aux dépens du lien social, 3) une privatisation sauvage au profit de grands financiers et entrepreneurs, 4) un pluralisme juridique ou des régimes d’autonomie fort judicieux mais souvent sans régulation étatique.
C’est le public, la polis (et non la police dont on a souvent parlé) qui contribue à la « réaffirmation de la conscience sociale de l’Etat, notion cependant absente du débat public alors qu’il s’agit de rechercher non seulement une logique de gestion, mais une logique de sens. Or le débat public n’est plus un vecteur de rassemblement et d’appartenance » (Marietta Karamanli, France). C’est dire que l’intérêt général ou, mieux, le bien commun, n’est pas réductible à la notion mercantile d’usager et de consommateur, et aux « seuls forces du marché » (Georgios Dellis, Grèce).
3. Réalités méditerranéennes
du service public
La description des réalités du service public dans les douze pays méditerranéens, à la lumière des interventions et débats, portent sur trois aspects : principes de mise en œuvre, champs d’intervention, et problèmes de gestion.
Les principes : Qu’en est-il de l’égalité à propos surtout de l’accès des femmes à la carrière militaire ? (Stamatina Xefteri, Maria Gkana, Theodora Papadimitriou, Grèce) ? On souligne qu’en raison de nombre de dérives, « le service militaire a été tué par le principe d’égalité, et qu’en matière de fisc notamment, le principe d’égalité n’est pas absolu et que le Conseil constitutionnel français se trouve submergé par des QPC en matière d’égalité fiscale, l’égalité étant un sujet mobilisateur » (Bernard Stirn, France). Il faudra revenir à De l’esprit des lois de Montesquieu, où Montesquieu dénonce «l’égalité extrême». En matière militaire « les besoins des armées ont changé et de nouvelles exigences se manifestent en vue d’un service civil ouvert à tous » (Bernard Stirn, France). Quant au principe de continuité, notamment en période d’urgence, on relève que le principe « trouve sa légitimité dans le principe de la continuité de l’Etat » (Yilnaz Didem, Turquie). « l’Etat ne pouvant pas avoir d’éclipse » (Bernard Stirn, France).
Le principe de mutabilité ou d’adaptabilité (Judith Gifreu Font, Espagne) « n’a jamais été aussi nécessaire aux services publics qu’aujourd’hui et sur tous les terrains : procédés de gestion, davantage de dialogue, délégation de responsabilité, réformes, exercice de l’autorité dans des organisations complexes » (Bernard Stirn, France).
On insiste sur les principes de neutralité en matière de service public de l’enseignement (Ayham Alata, Syrie et France), « d’effectivité pour répondre à des besoins quantitatifs et qualitatifs, et aussi d’acceptation » (Pierre Delvolvé, France), surtout que « les monopoles s’effacent et des considérations éthiques émergent » (Bernard Stirn, France). Dans le cas du Liban, dans les années 2001-2004, le ministère d’Etat pour la réforme administrative, sous la direction du ministre Fouad El-Saad, avec le soutien de l’Union européenne, a élaboré sept chartes, sans malheureusement un suivi après lui, sur les rapports du citoyen avec l’administration en vue de promouvoir une culture et une praxis de service public (Giacomo Roma, Italie ; Rkia El-Mossadeq, Maroc).
Champs d’intervention : Trois principaux champs d’intervention, ceux des biens culturels (Eleni Pipelia, Grèce), de l’eau (Aemilia Ioannidis, Grèce et France ; Sami Serageldin, Egypte ; Carlo Iannello, Italie ; Yannis Eustathopoulos, Grèce), de l’énergie (Grégory Kalfleche et Fabrice Bin, France), et du sport (Mathieu Maisonneuve, France et Liban) sont étudiés.
Problèmes de gestion: C’est à propos de l’exemple de sport, activité par excellence d’équipe et donc de compétition solidaire, que presque tous les problèmes de gestion se posent : « Argent, violence, dopage… avec un contentieux largement détourné du contrôle étatique. A quoi donc se limite l’horizon des plaideurs sportifs ? » (Mathieu Maisonneuve, France et Liban). Concession, régie, délégation, privatisation…, toutes ces procédures d’organisation et de gestion, ainsi que le cas de ceux qu’on appelle « les opérateurs » (Alaa Kotb, Egypte ; Vahit Polat, Turquie ; Vassilios Kondylis, Grèce) sont examinées. Ce qui nous plonge davantage dans la réalité de la réalité, non à la manière de faux programmes télévisés de Télé-réalité, c’est l’expérience concrète d’un ancien ministre : « Je me suis trouvé affronté à une structure obsolète, paralysie flagrante, manque de rationalité, pas de description des postes, ignorance du nombre exact de fonctionnaires, et un fonctionnaire avec lequel je voulais dialoguer et qui me dit : c’est la première fois dans ma carrière que je discute avec un ministre, lequel ne gouverne qu’avec ses conseillers » (Antonis Manitakis, ancien ministère de la Restructuration administrative, Grèce).
S’agit-il de l’organisation bureautique ou pour le service au plein sens du mot service, et pas au sens juridique formel ? Qui sont les bénéficiaires ? Quelle accessibilité aux services ? Où vont effectivement les prestations, aides et allocations ? Des approches pragmatiques permettent d’appréhender le droit du service public sous l’angle de son effectivité.
4. Que faire ?
Il ressort des interventions, des travaux des équipes du LM-DP et des débats, nombre de propositions de changement et d’action que nous pouvons résumer en quatre perspectives.
Sauvegarder les acquis de l’Etat démocratique, incarnation et acteur du public (polis) : Mesure-t-on les dangers, dans la culture dominante aujourd’hui, de l’affaiblissement des Etats et même de grands Etats et de petites nations fragiles ou fragilisées ? On insiste à plusieurs reprises sur la notion, souvent oubliée, de droits régaliens (rex, regis, roi), droits inhérents à l’Etat, dont le droit d’engager ou de ne pas engager une guerre (Pierre Delvolvé, France). Or le droit de disposer d’une armée nationale et d’engager ou de ne pas engager une guerre est aujourd’hui usurpé par des Etats en vue de guerres internes, encore dites civiles, par procuration dans d’autres Etats fragiles ou fragilisés.
Quant aux politiques dites publiques, il faut à l’avenir mieux ouvrir les yeux, surtout dans des observatoires de la démocratie et de la gouvernance, sur l’absence de débat public, les détournements populistes de tels débats, les privatisations sous couvert de légalité en faveur de groupes de pression de grands entrepreneurs, les filières de clientélisme derrière un écran de juridisme, l’accessibilité des prestations à des réseaux de clients…
Il faut, d’une part, observer les changements en cours à propos de l’Etat dans la mondialisation et relire les travaux de Norbert Elias sur quatre siècles d’histoire en Occident en vue de l’émergence de l’Etat à l’encontre des seigneuries et féodalités hégémoniques. (La dynamique de l’Occident, 1939, Calman-Lévy, 1975, 320 p.). Cependant une psychologie historique d’hostilité à l’Etat, de la part de juges, et aussi d’intellectuels libéraux et de gens ordinaires, en raison de l’hégémonie de pouvoirs tyranniques au sommet (nazisme, fascisme, étatisme soviétique…) confond la notion d’Etat d’après les pères fondateurs avec ses dérives. On jette ainsi le bébé avec l’eau du bain.
Du droit positif, administratif et constitutionnel, aux recherches et praxis d’effectivité : Les tribunaux administratifs et la justice constitutionnelle se trouvent alertés par des cas de violations du droit du service public. Les cas non soumis au contentieux sont bien plus nombreux, camouflés, ou avec une barbarie apparemment douce, et sont plus généraux que l’intérêt dit général. Il ne faudrait plus à l’avenir que des juges, sous couvert de devoir de réserve, se comportent en étrangers à la société, leur société, dont il font partie, car « l’avenir de la société dépend de l’action publique » (Bernard Stirn, France ; Filippo Patroni Griffi, Italie). C’est ainsi « qu’on passera à un juge administratif régulateur et protecteur » (Jean-Paul Costa, France) en vue d’un « service public qui, malgré tout, n’est pas voué à l’extinction » (Bernard Stirn, France) et, si l’on peut dire, un service public agoracentrique.
Les politiques dites publiques sont-elles vraiment publiques ? Ne camouflent-elles pas des partages clientélistes ? Ces politiques vont-elles effectivement aux bénéficiaires ? Ces questions impliquent la vérification de l’absence d’une appropriation privée du public et, a contrario, « une conception dynamique et des objectifs opérationnels du service public et la vérification que l’intérêt général est respecté » (Antonis Manitakis, Grèce). C’est ainsi qu’on vérifie « comment l’intérêt général prend forme et se concrétise » (Marietta Karamanli, France) et que le service public « acquiert sa valeur forte au-delà du droit administratif formel » (Stavroula Ktistaki, Grèce), car « l’avenir même de la cohésion sociale dépend de l’action publique » (Bernard Stirn, France).
Aussi la propension à exagérer « la préférence pour la gestion privée » (Bernardo Giorgio Mattarella, Italie), propension qui témoigne d’une « résistance à l’Etat » (Pierre Delvolvé, France), comporte plein de risques pour l’avenir, surtout que des « services publics relèvent par nature de l’Etat » (Stavroula Ktistaki, Grèce).
Le pire ennemi de l’intérêt général est le légalisme qui camoufle les violations du public. Selon un proverbe français : Il faut sortir de la loi pour entrer dans le droit. On relève en effet que « des contrats administratifs sont faussés par la corruption au bénéfice d’entrepreneurs privés où on perd le contrôle de ces contrats ». (Marta Franch Saguer, Espagne).
Dans cette perspective nombre de procédures administratives et constitutionnelles devraient être instituées ou revigorées, avec des « modalités souples de régulation des conflits » (Aemilia Ioannidis, Grèce et France), des recours individuels ou associatifs ou par voie d’exception devant la justice constitutionnelle, des « actions de groupe et collectives » (Marietta Karamanli, France)…
Nombre de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, peut-être impopulaires au regard d’une mentalité individualiste suscitent l’admiration quand elles insistent, en vue de la cohésion sociale, sur les « obligations du service public » (Georgios Dellis, Grèce), du fait même que la notion de service public, « autrefois étroite, va de plus en plus s’élargir » (Bernard Stirn, France).
Pas de public sans participation citoyenne : Autant il faut désormais insister sur la distinction fondamentale et inhérente au politique entre le privé et le public, autant il faut renoncer à la mentalité d’une nouvelle génération qui hérite d’un patrimoine de combat pour la démocratie, combat engagé par les grands-parents et parents, alors que cette nouvelle génération entre en démocratie comme dans un hôtel à cinq étoiles ou un supermarché pour la consommation de droits de l’homme. Or le public, ce n’est pas l’apanage exclusif de l’Etat, sinon cet Etat serait hégémonique. Le public relève de tous et de chacun, appartient à tous et à chacun, pour une sociabilité harmonieuse.
C’est dans les couloirs du colloque qu’une participante, députée de sa région en France, raconte qu’un bureau de poste ayant été fermé dans sa région, les habitants se sont mis à manifester. Elle les exhorte alors à aller à ce bureau, où personne n’y allait auparavant, pour ouvrir des comptes. C’est alors que le bureau, pour des raisons d’effectivité, est rouvert par l’autorité municipale (Marietta Karamanli, France). Nous pouvons aussi citer une interview télévisée du Président Georges Pompidou (1969-1974) à propos de problèmes de sécurité. A la suite d’émeutes à Paris, des Français se sont mis à dénoncer l’absence de la police. Le Président Pompidou leur dit: S’il y a peu de policiers, vous vous plaignez : Où est la sécurité ? S’il y a trop de policiers, vous dites: Pourquoi ce terrorisme. « L’ordre, dit-il, est aussi en chacun de nous ». Le cas des policiers volontaires en Grande-Bretagne constitue un exemple d’un ordre public intégré, approprié par une citoyenneté constructrice d’Etat.
Le droit de la solidarité et de la fraternité : Le droit du service public, sans moralisme et sans nécessairement une référence religieuse dogmatique, ne peut se détacher en ce début du XXIe siècle d’une vision plus large du droit de la solidarité et de la fraternité. On pourra se référer à nombre de travaux récents, qui émanent non de philosophes mais pleinement d’institutions éminentes, dont l’Association des Cours et Conseils constitutionnels ayant en partage l’usage du français – ACCPUF (3e Congrès de l’ACCPUF, La fraternité, Ottawa, 2003) et de juristes (Alain Supiot, La solidarité. Enquête sur un principe juridique, Paris, Odile Jacob, 2015). Ce droit, apparemment récent, rejoint parfaitement les pères fondateurs du politique et des théories du droit et de la justice. A ceux qui pourrait contester une telle approche, c’est l’expérience historique cumulée qui montre que le droit positif, sans un socle valoriel de justice, ne peut à lui-seul fonder une société. Tous les défis du droit dans le monde d’aujourd’hui et dans l’expérience même de l’Union européenne en particulier résident dans la solidarité et les perturbations de la polis d’Aristote.
C’est dire que nous devrions tous désormais poursuivre la réflexion et l’action, aller plus loin dans les trois dimensions du public dans le service public, les dimensions à la fois culturelles, politiques et juridiques, et dans une perspective d’« interdépendance sociale », selon la définition de Léon Duguit.
Dans son dernier roman, vaste fresque historique, épopée de la Révolution française, Quatre-vingt-treize (1874), œuvre de la plus profonde maturité, Victor Hugo rapporte le dialogue suivant, engagé par Gauvain :
« La république c’est deux et deux font quatre. Quand j’ai donné à chacun ce qui lui revient…
Il vous reste à donner à chacun ce qui ne lui revient pas.
Qu’entends-tu par-là ?
J’entends l’immense concession réciproque que chacun doit à tous et que tous doivent à chacun, et qui est toute la vie sociale » (Livre 7, V. Le Cachot, p. 248).
L’immense avantage du colloque, à travers le thème du service public en Méditerranée, est d’inciter à repenser tout le droit. Le service public est le meilleur indicateur de l’Etat de droit ou au contraire, l’indicateur d’une « crise du droit public », comme le souligne dans l’exposé de clôture le Président de la République hellénique, M. Prokopios Pavlopoulos. République, on l’oublie, est bien la res publica des vieux Romains, plus modernes à ce propos que des contemporains.
* Membre du Conseil constitutionnel, Liban
Membre d’honneur du Laboratoire méditerranéen de droit public – LM-DP
Titulaire de la Chaire Unesco d’étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, Université Saint-Joseph, Beyrouth.
Prix du Président Elias Hraoui : Le Pacte libanais, 2007.
Le 2e grand colloque international du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public a eu lieu à Athènes les 19-20 octobre 2017.
Son programme est toujours disponible ICI.
Vous pouvez également lire l’allocution du président Stirn LA.
le lien vers la 1ère journée se trouve LA ;
celui vers la 2nde journée se trouve ICI.
Celui vers la réception à l’ambassade de France en Grèce
à l’invitation de S.E. M. Christophe Chantepy se trouve ICI
et vous pourrez même également trouver en ligne d’autres billets & témoignages photographiques de cet événement :
– à propos des préparatifs et des organisateurs de la manifestation (ICI) ;
– s’agissant du dîner de gala du 19 octobre offert par l’EKDDA (LA) ;
– ou encore à propos de la réunion du Directoire du LM-DP le 20 octobre 2017.
Par ailleurs, un article est spécialement relatif à la venue au colloque de
S.E. M. le Président de la République Hellénique, Prokopios Pavlopoulos.
Le texte de la déclaration d’Athènes
du LM-DP est téléchargeable ICI au format PDF
Nota bene : vous pouvez signaler au LM-DP toute erreur ou omission et demander à ne pas apparaître sur l’une des photographies. De grands mercis aux photographes amateurs qui ont permis la mise en ligne de si beaux souvenirs et ce, tout particulièrement à Marie E. et Loic D. ainsi qu’aux professeurs Grégory K. & Mathieu T-D.