Eléments de l’histoire constitutionnelle égyptienne

Eléments de l’histoire constitutionnelle égyptienne
17 août 2017 No Comments Egypte Ahmed SAMIR

L’évolution constitutionnelle de l’Egypte traduit l’évolution d’un pays qui, après une longue occupation ottomane, a retrouvé sa place dans le concert des nations au XIXe siècle.

Une Constitution ne fait que poser un cadre juridique, sans conditionner nécessairement la pratique ultérieure du régime. La simple connaissance théorique de la règle de droit ne permet pas, en effet, de connaître le degré de son application effective par les forces politiques, économiques et sociales.

La première Constitution Égyptienne date de 1923. Avant cette date, l’Égypte avait toutefois connu des textes d’organisation des pouvoirs. C’est ainsi que, dès 1866, ‘’ le Khédive Ismail ‘’ avait adopté une loi organique mettant en place une Chambre des députés qui jouissait de pouvoirs de délibération sur les projets.

En 1878, fut introduit le principe de la solidarité des ministres et de leur responsabilité collective devant le khédive.

En 1882, Une nouvelle loi fondamentale fut adoptée. Elle renforçait la représentativité des assemblées et leur confiait un rôle beaucoup plus important en matière législative, les ministres sont devenus, pour la première fois, responsables devant la Chambre. Mais elle ne vécut que quelques mois et disparut avec l’arrivée des envahisseurs britanniques.

En 1883, Une autre loi organique fut adoptée par décret khédivial. Cette loi a doté de compétences consultatives en matière budgétaire et législative un conseil législatif de 30 membres, mi-élu par les conseils provinciaux, mi-nommés par le khédive . Une Assemblée générale de 83 membres jouissait d’un pouvoir de décision en matière fiscale, mais ne se réunissait que tous les 2 ans.Cette loi organique prévoyait également qu’aucun décret ne pourrait être promulgué sans avoir été contresigné par le président du Conseil des ministres et les ministres compétents. Un amendement en 1909 rendit les sessions des deux assemblées publiques. En 1912, les membres du Conseil législatif ont été autorisés à poser des questions aux ministres. En 1913, une nouvelle loi organique fut promulguée par le khédive ‘’ Abbâs ‘’. Selon ses dispositions, L’Assemblée législative était composée des ministres, de 66 membres élus et de 17 membres nommés. Aucune loi ne pouvait être promulguée sans lui avoir d’abord été présentée, même si son avis n’était toujours que consultatif, sauf dans les affaires se rattachant aux impôts.

Avec l’instauration du protectorat anglais en 1914, la vie constitutionnelle fut suspendue pendant plusieurs années. Ce protectorat ne prit fin que le 28 février 1922, avec la proclamation unilatérale par l’Angleterre de l’indépendance de l’Égypte . Cette proclamation mit formellement fin à l’occupation, mais les britanniques continuèrent à disposer de privilèges importants, quasi-coloniaux, en Egypte.

Depuis l’adoption de sa première Constitution post-coloniale en 1923, l’Égypte a connu une forte instabilité constitutionnelle. Le roi Fouad a chargé son gouvernement d’élaborer un projet de Constitution. Un comité de trente personnalités a été nommé. Ce comité se formait par un groupe de libéraux nommés par un gouvernement issu de l’un des partis politiques minoritaires. Mais en tout cas, l’adoption d’une Constitution était un moyen d’affirmer l’indépendance de l’Égypte face à la puissance occupante. Une fois le projet rédigé, les Britanniques s’opposèrent à la formulation originelle de l’article 29 de la Constitution, qui proclamait Fouad « Roi d’Égypte et du Soudan » et obtinrent gain de cause.

La Constitution a mis en place un régime parlementaire limitant les pouvoirs du roi au profit du Parlement. Le monarque, privé lui aussi du pouvoir, refusa de respecter les limites mises en place par le texte de 1923 et s’attela à rétablir son pouvoir personnel. Le respect du jeu parlementaire lui imposait de nommer comme Premier ministre le chef de la majorité parlementaire (qui appartenait au parti Wafd, parti de centre-droite ayant des aspirations républicaines) ; mais il a choisi de nommer des gouvernements minoritaires pour pouvoir les manipuler. Le roi finit par ajourner le texte de 1923 et puis par le suspendre et gouverner par décrets-lois. Les gouvernements successifs étant préoccupés par la question de l’indépendance effective plus que par les problèmes de politique intérieure.

Après beaucoup de violation, le roi finit par abroger la constitution de 1923. En 1930, une nouvelle constitution a repris pour l’essentiel celle de 1923 mais avec une rupture en ce qu’elle attribuait plus de pouvoirs au roi, au détriment du cabinet et des assemblées. Suite à un mouvement politique extrêmement fort, la constitution de 1923 a été remise en vigueur mais a été abrogée après la révolution de 23 Juillet 1952.

Les Constitutions de l’ère nassérienne. L’ère nassérienne (1952-1970) a été caractérisée par une grande instabilité constitutionnelle : trois constitutions et deux proclamations constitutionnelles se succédèrent entre 1952 et 1964. Le 10 décembre 1952, soit près de cinq mois après la Révolution de juillet, la Constitution de 1923 fut officiellement abrogée  Le général Nagîb, premier président de la République,  annonça la création d’un comité chargé d’élaborer une nouvelle Constitution. Le 10 février 1953, une proclamation constitutionnelle posa les principes du système de gouvernement pour une période transitoire de trios ans. Il s’agit d’un texte de onze articles, dont sept sont consacrés à l’énoncé de droits et libertés (égalité, liberté individuelle, liberté d’expression, protection de la propriété, liberté de croyance, indépendance de la justice…). Il n’apporte pas grand-chose sur le plan idéologique et, en particulier, ne précisait pas si le régime à venir serait une monarchie ou une république. Au niveau des structures, il mit en place trois organes collégiaux, centralisant le pouvoir aux mains d’une équipe restreinte. L’Égypte n’avait pas de chambre, pas de président. Nasser était à la fois Premier ministre et chef du Conseil du Commandement de la Révolution.

En 1956 fut adoptée la première Constitution de l’ère républicaine. Le projet a été adopté par référendum à une écrasante majorité. Long texte de 196 articles précédé d’un préambule qui exposait les principes sur lesquels repose la Révolution, cette constitution proclame dans son article 1 que l’Égypte est un État arabe indépendant et souverain et une république démocratique. Elle affirme pour la première fois l’appartenance de l’Égypte à l’entité arabe et celle de son peuple à la nation arabe.  Sur le plan des structures politiques, elle pose des bases qui seront reprises dans toutes les constitutions ultérieures : élection en deux temps du président de la République, abandon du bicaméralisme et, comme les chartes monarchiques, elle attribue au chef de l’État le droit de dissolution.

Cette Constitution disparaîtra en 1958, lors de la fusion de l’Égypte avec la Syrie. Une nouvelle Constitution fut alors promulguée le 5 mars 1958 pour l’État nouvellement créé, la République arabe unie. Elle présentait beaucoup de traits communs avec la Constitution de 1956 dont elle reprenait l’essentiel de la structure, mais de façon beaucoup plus succincte puisqu’elle ne comprenait que 73 articles. Les dispositions relatives aux bases fondamentales de la société et aux droits des citoyens, en particulier, étaient fortement réduites. Elle mettait en place un État unitaire, composé de deux provinces. Des institutions communes étaient mises en place pour gérer le nouvel État.

Après la rupture avec la Syrie en 1961, Nasser adopta le 27 septembre 1962 une proclamation constitutionnelle amendant la Constitution provisoire de 1958. Elle renforçait les pouvoirs du chef de l’État, créant un conseil de la présidence et un conseil exécutif, tous deux présidés par le chef de l’État, investi de la totalité du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. La Constitution de 1958 et la proclamation constitutionnelle du 27 septembre 1962 cessèrent de s’appliquer en mars 1964, avec l’entrée en vigueur d’un nouveau texte fondamental élaborée par un comité constitué par le pouvoir en place.  Cette nouvelle charte qui est Longue de 169 articles, était lui aussi très proche de la Constitution de 1956 et constituait une nouvelle affirmation du socialisme de l’État. Cette Constitution resta en vigueur jusqu’en 1971.

En 1971, le président Anouar el-Sadate fait rédiger une nouvelle constitution, se voulant plus démocratique : cette dernière, plusieurs fois amendée, restera en vigueur jusqu’en 2012. Formée de 211 articles répartis en 7 chapitres (le dernier, rajouté en 1980), elle est approuvée par référendum le 11 septembre 1971. Elle consacre théoriquement le retour au multipartisme et donne plus d’importance à la vie parlementaire, mais conserve les orientations socialistes de la précédente. Se voulant « La constitution égyptienne permanente » lors de sa rédaction, elle est amendée une première fois en 1980 par Anouar al-Sadate et deux fois, en 2005 et 2007 par Hosni Moubarak. L’amendement du 25 mai 2005 concernait l’article 76 de la Constitution, relatif à l’élection du président de la République au suffrage universel direct avec une pluralité de candidats. Cette consultation qui, dit-on, a consacré le « oui » écrasant du peuple, mettra fin au système du référendum sur un seul candidat désigné par les 2/3 des membres de l’Assemblée du peuple, qui était en vigueur jusque-là. Désormais, des élections libres se tiendront entre plusieurs candidats. Ce fût sans doute l’amendement le plus important de la Constitution de 1971. Des amendements supplémentaires sont promis par Moubarak en 2011, alors que le pays est secoué par d’importantes manifestations, mais ces promesses ne suffisent pas à endiguer la crise, et le président est contraint à la démission.

Mais la poursuite des troubles après la chute de Moubarak conduit, dans une certaine confusion, à l’émission de plusieurs déclarations constitutionnelles : 30 mars 2011, 17 juin et 12 août 2012. En 2012, Les courants islamistes appelèrent à une assemblée constituante, c’est l’assemblée issue des élections législatives égyptiennes de 2011-2012 qui doit en faire office. Cependant après son élection, le Parlement égyptien élit une assemblée constituante dont le président est le Président de l’Assemblée du Peuple. Après de multiples blocages, la Constitution est adoptée le 30 novembre puis approuvée par référendum le 22 décembre.

Le 3 juillet 2013, après la démission du Président frère musulman Mohamed Morsy, la Constitution est suspendue et un comité composé de 50 personne est chargé de rédiger une nouvelle. Cette constitution est adoptée le 3 décembre puis approuvée lors d’un référendum le 15 janvier 2014. Cette constitution est toujours en vigueur.

  Tous les textes constitutionnels égyptiens ont divisé le pouvoir entre un Parlement et le chef de l’État, assisté ou non d’un cabinet. Le déséquilibre des pouvoirs au profit du Roi puis du Président n’a fait que se renforcer dans l’application pratique de ces textes. Le législateur constitutionnel de 1971 avait institué un parlement monocaméral, confiant le pouvoir législatif à l’Assemblée du peuple (majlis al-shacb). L’amendement constitutionnel de 1980 a créé une deuxième chambre, le Conseil consultatif (majlis al-shûrâ), qui ne jouit toutefois jusqu’à présent que de pouvoirs consultatifs

Le principe du contrôle juridictionnel des lois est apparu dans la jurisprudence avant même d’être institué par un texte constitutionnel. Ce fut une décision de 1948 de la Haute Cour administrative du Conseil d’État qui posa ce principe. Les tribunaux décidèrent, depuis cet arrêt, de refuser d’appliquer les textes de lois qu’ils jugeaient inconstitutionnels, alors même qu’ils ne pouvaient s’appuyer sur aucune disposition constitutionnelle en ce sens. La première instance judiciaire dotée d’une telle compétence ne vit le jour qu’à la fin de la période nassérienne, lorsqu’un décret-loi présidentiel de 1969 créa la Cour suprême. Deux ans plus tard, une fois son pouvoir assis, Sadate fait publier le texte définitif de la Constitution égyptienne, avec pour mots d’ordre démocratie et souveraineté de la loi. Cette Constitution reconnaissait pour la première fois la compétence d’une instance judiciaire suprême, la Haute Cour constitutionnelle, en matière de contrôle de constitutionnalité.

En 1946 ; le Conseil d’État égyptien avait été créé par la loi 112 de l’année1946, pour résoudre les litiges liés à l’administration (tout type de litiges administratifs), plus précisément les litiges concernant les contrats administratifs, la fonction publique et la protection des droits et des libertés fondamentales des personnes contre l’atteinte de l’Administration. L’article (172) de La constitution de 1971 était le premier texte constitutionnel qui mentionne le Conseil d’Etat, et qui détermine ses compétences ; ces dernières ont été bien étendues dans les constitutions successive jusqu’a la constitution de 2014 (article 190). Il a reçu une compétence très élargie pour la résolution y compris des litiges relatifs à l’exécution de ses jugements que pour la révision à priori des lois (cette révision de fait au sein de la section de législation qui donne un avis motivé sur le texte). Celle-ci révise d’une part la cohérence et la rédaction de la législation, et d’autre part la constitutionnalité de la législation.

A propos de l'auteur méditerranéen ?
Ahmed SAMIR Ahmed SAMIR est auditeur adjoint au Conseil d'Etat égyptien ; il est membre de l'équipe égyptienne du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public

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